05/12/2025

La chambre de règlement à l'amiable (CRA) du tribunal de l’entreprise de Louvain fête son premier anniversaire

 

« La CRA permet une expérience plus positive de la Justice, loin du modèle conflictuel. Grâce à la CRA, la procédure judiciaire est plus courte et coûte moins cher à la personne concernée. De plus, la solution trouvée est également portée par les parties elles-mêmes. » La parole est à Christien Broekmans (présidente de la CRA), Jacques Heynen (juge consulaire), Patrick Bolle (juge consulaire) et Daan Peeters (greffier), qui siègent au sein de la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain.

Depuis septembre 2025, dans tout le pays, les citoyens et les entreprises peuvent soumettre leur conflit à la CRA. Les cours et tribunaux traitant des dossiers civils, sociaux et de l’entreprise ont désormais l’obligation légale de mettre sur pied une CRA.

Au sein du tribunal de l’entreprise de Louvain, on n’a pas attendu cette obligation légale. « En octobre 2024, sur une base volontaire, nous avons lancé notre CRA, inspirés par les bons résultats et l’enthousiasme de nos collègues gantois, bruxellois et anversois », nous dit d’emblée Christien Broekmans, présidente de la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain. « Pour bien nous préparer, nous avons d’abord suivi une formation de quatre jours auprès de l’Institut de Formation Judiciaire (IFJ). Cette formation nous a convaincus encore davantage de l’utilité et de la valeur ajoutée de la CRA », poursuit Christien Broekmans.

L’installation d’une CRA attire de nombreux regards. « Avant de pouvoir lancer notre CRA, nous avons, durant l’été 2024 et avec l’aide de notre référendaire, élaboré un plan d’action pour le greffe et les juges consulaires, tout comme le modèle de jugement d'accord et le procès-verbal de règlement amiable. Une telle CRA doit de préférence avoir tout le soutien des services du tribunal. La CRA ne se fonde pas uniquement sur les trois juges qui siègent. Nous pouvons heureusement faire appel aux greffiers et au personnel du greffe, qui investissent beaucoup de temps dans ce projet. »

 

Quelles sont les principales différences entre une CRA et une procédure classique devant un tribunal ?

Christien Broekmans (présidente) : « La différence la plus importante par rapport à une chambre de plaidoiries classique est que, au sein de la CRA, il n’y a pas de plaidoirie de la part des avocats. Les parties elles-mêmes occupent une position centrale et relatent tout d’abord, avec leurs propres mots, leur histoire. Pour ce faire, elles sont aidées par leur avocat. Les trois juges siégeant extraient alors la substantifique moelle des versions des parties concernées et tentent de comprendre les causes sous-jacentes du litige entre les parties. »

Patrick Bolle (juge consulaire) : « Au sein de la CRA, ce sont d’abord les parties qui prennent la parole. Les avocats jouent surtout un rôle de conseiller vis-à-vis de leur client. Bien que l’on ne doive en aucun cas sous-estimer le rôle et l’impact d’un avocat devant la CRA, c’est surtout lorsqu’il faut atteindre une solution que son rôle est important. »

Jacques Heynen (juge consulaire) : « Encore une différence avec une chambre de plaidoiries classique : la CRA siège toujours à huis clos en chambre du conseil. Nous donnons ainsi aux parties la tranquillité et le confort nécessaire. La confidentialité est très importante. What happens in the Chamber, stays in the Chamber. Non seulement, l’audience proprement dite est confidentielle, mais les pièces fournies le sont aussi. De même, les juges de la CRA ne siégeront jamais dans une chambre de plaidoiries qui, ultérieurement, pourrait devoir traiter la même affaire, dans le cas où aucune solution ne peut être trouvée, ou si seul un accord partiel est atteint. Tous ces garanties doivent aider à assurer le confort des parties. »

 

À quelle fréquence la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain se réunit-elle ?

Christien Broekmans : « Nous nous réunissons deux fois par mois. Cette fréquence est choisie à dessein, notamment parce que, en agissant de la sorte, nous n’ « abandonnons » pas une affaire et pouvons réagir rapidement. Dans le même ordre d’idées, le travail de la CRA ne peut pas engendrer de retards lorsqu’une procédure au fond est encore en cours. La CRA doit dès lors se réunir suffisamment souvent afin de garantir une procédure fluide. »

Patrick Bolle : « Nous traitons en moyenne 4 à 5 affaires par audience. Les trois juges ont lu attentivement le dossier préalablement à chaque audience. Cela permet de ne jamais être mal préparés. Nous connaissons les difficultés du dossier. Nous essayons alors de trouver la corde sensible et de la neutraliser. »

 

Comment les dossiers atterrissent-ils devant la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain ?

Christien Broekmans : « Il existe deux manières d’arriver devant la CRA. La première, c’est lorsque les parties elles-mêmes demandent l’intervention de la CRA, indépendamment de toute procédure juridique. Pour ce faire, les justiciables peuvent rédiger à cet effet un courrier à l’attention du greffe. »

« La CRA peut également être saisie pendant une procédure judiciaire en cours. L’intervention de la CRA peut être demandée tant par une des parties que par le juge du fond lui-même. Ce renvoi est alors simplement consigné sur la feuille d'audience. Il est également important de signaler que l’intervention de la CRA se fait toujours sur une base volontaire. Si une des parties s’oppose à l’intervention de la CRA, celle-ci n’a pas lieu. D’ailleurs, une partie peut à tout moment demander l’arrêt du traitement de l’affaire par la CRA. »

 

Quel type d’affaires la CRA traite-t-elle ?

Christien Broekmans : « La CRA est tout à fait appropriée pour résoudre des litiges relativement simples. Il s’agit par exemple d’affaires concernant deux parties seulement. Les litiges typiques qui se présentent devant la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain ont trait aux factures impayées, comme les honoraires des avocats. Les affaires simples dans le domaine de la construction, les petites réparations et les conflits portant sur un montant inférieur à 5000 euros peuvent tout à fait être traités par la CRA. La CRA est tout à fait indiquée pour traiter les conflits impliquant des parties entretenant une relation commerciale qu’elles souhaitent poursuivre. Enfin, restent les litiges dans lesquels les émotions jouent un rôle important. »

Patrick Bolle : « Au sein de la CRA, les justiciables ont la possibilité d’exprimer leurs griefs vis-à-vis des personnes détentrices de l’autorité. C’est ensuite à nous, juges, de neutraliser les émotions et de mettre ainsi les parties sur la voie d’une solution. »

Christien Broekmans : « La CRA qui traite des affaires du monde de l’entreprise n’est pas compétente dans les matières d’ordre public telles que les faillites et les procédures de réorganisation judiciaire. Nous ne pouvons pas intervenir dans ces cas de figure. Ces affaires restent l’apanage exclusif d’un juge chargé de trancher les conflits. »

 

En quoi le rôle d’un juge de la CRA diffère-t-il du rôle d’un juge dans une affaire classique ?

Patrick Bolle : « Au sein de la CRA, le juge a une mission importante : éliminer de la discussion le côté émotionnel. Les émotions se manifestent la plupart du temps durant les cinq premières minutes de l’audience. C’est à ce moment-là que la tension est palpable. »

Jacques Heynen : « Dans les conflits, les émotions jouent un rôle qu’il ne faut pas 
sous-estimer. Il s’agit parfois d’affaires que, malgré notre bon sens, nous ne pouvons pas expliquer de façon logique. Je vous renvoie ici volontiers à cette célèbre citation du philosophe français Blaise Pascal : « “ le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.  ” »

« Lors d’une audience, il arrive également que nous parlions en aparté avec une des parties. Cela nous aide à encore mieux comprendre ses arguments et ainsi à ouvrir la voie vers une solution commune. »

Patrick Bolle : « Un principe de base est que nous ne pouvons pas, en tant que juges, imposer une solution aux parties. Nous ne pouvons donc pas nous prononcer mais devons mener à bien une conversation difficile. Notre rôle de modérateurs doit donc ouvrir la voie à une solution. »

Jacques Heynen : « La valeur ajoutée des juges consulaires est d’ailleurs élevée au sein de la CRA, davantage que dans une affaire judiciaire classique. Les personnes qui participent pleinement à la vie économique comprennent souvent encore mieux les discussions des entrepreneurs au sein de la CRA. »

 

Comment se passe la répartition des rôles entre les trois juges siégeant au sein de la CRA ?

Patrick Bolle : « Notre façon de travailler au sein de la CRA s’est élaborée progressivement. Pendant l’audience, le président explique tout d’abord aux parties le système et les principes généraux de la CRA. Ensuite, de façon indépendante, les parties peuvent exprimer leurs griefs et faire part de leurs positions respectives. Ensuite, un juge reprend la main et procède à une première synthèse du litige. Par exemple : « “ Si nous devons résoudre ce problème, est-ce un pas dans la bonne direction ? ” » C’est ainsi que nous travaillons de façon constructive à une solution. »

Christien Broekmans : « Lors de l’audience, le greffier prend acte, dans un procès-verbal ou un jugement d'accord, des solutions mises en place. Ceux-ci peuvent être directement imprimés et signés. Nous disposons donc de toutes les facilités afin de fixer une solution directement à l’audience, lorsque les parties y sont disposées. »

« Nous essayons de garder les audiences aussi informelles que possible. C’est pourquoi l’audience se fait autour d’une table, assis, et pas dans une salle d’audience classique. En effet, une salle d’audience classique ne ferait que compliquer les choses. En tant que juges, nous portons toutefois notre toge. Nous avons déjà discuté auparavant de ce point. Nous estimons néanmoins que notre toge apporte une valeur ajoutée car elle facilite notre rôle de modérateur neutre. »

 

Comment sentez-vous, en tant que juge, qu’une solution peut être atteinte ?

Patrick Bolle : « Tant que les parties parlent entre elles et qu’un dialogue constructif est possible, notre intervention représente une valeur ajoutée. »

Jacques Heynen : « Ce qui aide, c’est esquisser une alternative. Que se passerait-il si aucun compromis n’était atteint au sein de la CRA ? Pour un juge chargé de trancher les conflits, une procédure peut vite durer un an, voire plus. Cela entraîne de nombreux coûts. L’issue est toujours incertaine. De plus, au bout du compte, vous vous êtes fait un ennemi de plus. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Pour les plus petits litiges, ce n’est pas toujours le cas. Les parties doivent cependant être disposées à mettre de l’eau dans leur vin. C’est toujours mieux d’avoir 50 % de quelque chose que 100 % de rien. »

Christien Broekmans : « Chaque partie a ses principes et ses positions mais, au final, chaque partie fait aussi ses calculs. Lorsque les parties se rendent compte de ce que représente pour elles la valeur réelle d'un litige, cela peut changer radicalement la donne et permettre d’arriver rapidement à une solution. »

Daan Peeters (greffier) : Dans une affaire judiciaire classique, un litige de 1500 euros peut coûter deux ou trois fois cette somme. Pensons par exemple aux affaires du domaine de la construction, dans lesquelles un expert doit être désigné. Une des parties doit préfinancer le coût de cette désignation, qui peut être élevé. »

 

Le temps de parcours plus court est un atout de la CRA. Pourriez-vous donner un exemple de délai ?

Daan Peeters : « Le temps de parcours diffère grandement d’une affaire à l’autre. En moyenne, une affaire dure trois à quatre mois. Parfois, une seule audience suffit. Dans d’autres cas, une ou plusieurs audiences supplémentaires sont nécessaires. »

Patrick Bolle : « Le temps de parcours plus court répond à un souhait des entrepreneurs. Ils ont généralement peu de temps et veulent que les choses avancent. La CRA peut les y aider. »

« Lorsque nous constatons que le côté émotionnel dans tel ou tel dossier est encore trop présent, il est souvent préférable de mettre l’affaire quelque peu en pause. Nous laissons alors les parties réfléchir avant de revenir vers la CRA. Une autre raison importante qui pousse à mettre une affaire en pause est le manque d’informations. Il arrive que les parties n’aient pas reçu les pièces justificatives ou qu’elles n’en aient pas pris connaissance. Dans ce cas, nous donnons aux parties en présence la possibilité de reprendre encore une fois le dossier, chez elles, afin que, par la suite, nous puissions, au sein de la CRA, élaborer ensemble une solution. »

« Dans certains cas, cette deuxième étape n’est même pas nécessaire. Les parties nous annoncent alors qu’elles ont elles-mêmes trouvé un accord. En tant que juges, cela nous procure une grande satisfaction. »

 

Les parties se sont-elles toujours concertées avant d’arriver devant la CRA ?

Christien Broekmans : « Non, ce n’est pas toujours le cas. Il arrive même parfois que, dans certaines circonstances, les parties ne soient plus parlé depuis des années. Notre tâche est alors de lancer un dialogue constructif et d’accompagner pas à pas les parties vers une solution. »

Jacques Heynen : « J’ai déjà constaté à plusieurs reprises que certaines personnes, à leur arrivée devant la CRA, étaient à couteaux tirés mais qu’un accord était finalement trouvé. Ces personnes nous remercient vivement pour notre intervention. Elles vont parfois même boire un verre ensemble sur la Grand Place de Louvain. Dans des moments comme ceux-là, en tant que juge, vous ressentez vraiment votre valeur ajoutée. »

 

Le rôle des avocats est différent selon qu’il s’agit d’une affaire judiciaire classique ou d’une procédure devant la CRA. Comment les avocats se positionnent-ils vis-à-vis de la CRA ?

Jacques Heynen : « Au départ, les avocats étaient plutôt tièdes à l’égard de la CRA. On n’aime pas ce qu’on ne connaît pas. Les avocats ont cependant abandonné cette posture, principalement en raison des bons résultats de la CRA. Nous parvenons en effet à trouver une solution dans deux tiers des affaires qui nous sont soumises. Il n’existe plus aujourd’hui, de la part des avocats, de réticences particulières vis-à-vis de la CRA. C’est une bonne chose car les avocats peuvent faire une différence fondamentale devant une CRA. »

Christien Broekmans : « Les avocats montrent de plus en plus d’intérêt pour la CRA. Ils s’éloignent de plus en plus du modèle conflictuel et optent pour un modèle de conciliation. Le barreau flamand (Orde van Vlaamse Balies) prend lui aussi cette direction et promeut le règlement amiable des litiges, avec l’aide d’un avocat. De nombreux avocats sont d’ailleurs eux-mêmes médiateurs juridiques et sont donc bien familiarisés avec la matière. »

Patrick Bolle : « Le rôle de médiateur des avocats s’inscrit également dans les dispositions contenues dans le Code judiciaire. Celui-ci précise que la mission première d’un avocat est de concilier les parties. Un avocat souhaite aussi que, au terme de la procédure, son client reparte chez lui satisfait. La CRA aide les justiciables à se sentir satisfaits, sans que cela soit nécessairement accompagné de beaucoup de tracasseries juridiques. »

 

Que se passe-t-il si une des deux parties ne respecte pas un accord ?

Christien Broekmans : « Un accord au sein de la CRA a valeur de jugement. Les parties doivent toutefois veiller elles-mêmes à la poursuite de la mise en œuvre de leur accord. Le tribunal ne peut pas le faire lui-même. » 

« Si l’accord n’est pas respecté par une des parties, il n’est pas nécessaire que l’autre partie entame une nouvelle procédure devant le tribunal. Elle peut demander auprès du greffe une formule exécutoire afin qu’un huissier de justice puisse exécuter l’accord figurant dans le procès-verbal ou dans le jugement d'accord. »

Jacques Heynen : « Heureusement, dans la plupart des cas, on n’en arrive pas là. Les avocats pressent leur client d’exécuter le jugement. Cette formule exécutoire représente vraiment la dernière extrémité. »

 

Cela fait maintenant plus d'un an que la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain est en place. La CRA possède de nombreux atouts, mais sur quels points peut-elle s’améliorer ?

Jacques Heynen : « Ce qui peut certainement être amélioré, c’est sa notoriété, tant auprès des entreprises que des avocats. Pour les parties, la CRA est une méthode de résolution des litiges bien moins douloureuse qu’une affaire judiciaire classique. Bien entendu, il n’est jamais agréable de devoir comparaître devant le tribunal mais cette manière de résoudre les litiges est plus courte, moins coûteuse et est fixée par les parties elles-mêmes. Il s’agit là d’atouts qui peuvent et doivent être mis encore davantage en lumière. »

Christien Broekmans : « Un deuxième point à observer est le renvoi encore plus important d’affaires devant la CRA. Pour l’instant, cela ne se fait que de manière sporadique ou trop prudente. La CRA n’est donc pas toujours impliquée, même si ces litiges entrent en ligne de compte et pourraient être traités par la CRA. »

 

Quels sont les projets d’avenir de la CRA du tribunal de l’entreprise de Louvain ?

Christien Broekmans : « Nous sommes prêts à résoudre encore davantage de litiges entre entreprises et à faire ainsi la différence. Nous parvenons pour le moment à une solution dans la plupart des litiges qui nous sont soumis. Pourtant, seul un nombre limité de litiges entre entreprises arrivent devant la CRA. Nous n’envisageons volontairement pas d’objectifs chiffrés. Nous ne voulons pas tant traiter le plus d’affaires possible en chambre de règlement à l’amiable mais nous souhaitons investir autant que possible dans un dialogue constructif avec les parties impliquées dans les affaires soumises à la CRA. Notre expérience nous apprend que c’est ce qui mène aux meilleurs résultats. »

Patrick Bolle : « Dégager du temps est crucial. L’input détermine l’output. Vous ne pouvez jamais diriger sans filtre préalable des affaires vers la CRA. »

Jacques Heynen : « La CRA donne au citoyen une autre image de la Justice. Elle veille à une expérience plus positive de la Justice auprès des parties, loin du modèle conflictuel. Je suis également convaincu que, dans le contexte de la CRA, nous pouvons rendre des prononcés plus qualitatifs, comparés à une affaire judiciaire classique. »

Patrick Bolle : « Vous pouvez comparer la CRA au rôle conciliateur bien connu d’un juge de paix. Une chose similaire existe aussi dans le domaine de l’entreprise. Et cela fonctionne ! C’est ce que nous devons mettre encore davantage en lumière. »

 

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Découvrez la vidéo explicative sur le fonctionnement de la CRA.