08/07/2024

Après avoir passé les dix dernières années comme conseillère à la Cour d’appel de Liège, Gilone Tordoir revient sur ses terres hennuyères en tant que nouvelle présidente du Tribunal de première instance du Hainaut. Avec un triple objectif : renforcer la cohésion du TPI, accélérer la digitalisation et mettre l’accent sur la communication avec les citoyens.

Portrait Gilone

Gilone Tordoir aime avant tout rappeler ses racines chimaciennes. Après avoir effectué toute sa scolarité dans la cité princière, elle entame des études de droit à Namur qu’elle poursuit à l’Université catholique de Louvain. Fraîchement diplômée, elle débute comme avocate stagiaire au barreau à Charleroi, où elle intègre le cabinet de Léon Demine, avocat spécialisé en droit social et droit de la sécurité sociale.

Elle passe ensuite le concours de la magistrature, est nommée stagiaire judiciaire et rejoint Thierry Marchandise, procureur du roi de Charleroi, qui l’oriente vers le Parquet général. Elle y effectue un stage dont elle ne garde pas un excellent souvenir : « A l’époque, la hiérarchie, la structure, le poids du parquet général et le peu de liberté d’action étaient très pesants, je n’ai pas aimé ».

Elle poursuit donc son stage judiciaire au Tribunal de première instance de Charleroi, où elle est nommée. Elle commence par y pratiquer principalement le droit civil et traite de nombreux dossiers de règlement collectif de dettes. Elle passe ensuite au droit pénal et après dix ans, intègre la Cour d’appel de Mons.

En 2013, elle est nommée à la Cour d’appel de Liège où elle traite principalement des dossiers pénaux. Elle y a tissé de nombreux liens et ce n’est pas sans un réel pincement au cœur qu’elle a quitté la principauté pour devenir la nouvelle présidente du Tribunal de première instance du Hainaut, le 15 mai dernier. « J’ai adoré Liège, et on peut dire que j’y ai laissé mon cœur. J’y ai rencontré de très belles personnes et sa nouvelle première présidente est particulièrement active et bienveillante ».

Une politique basée sur trois axes

En revenant sur ses terres natales, Gilone Tordoir retrouve un Tribunal de première instance qui a bien changé depuis le temps où elle a exercé à Charleroi. Avec la réforme des arrondissements judiciaires, concrétisée en 2014, le TPI se compose en effet de 3 divisions (Tournai, Mons et Charleroi). Ce qui, selon la nouvelle présidente du TPI, s’est traduit par un manque d’intégration du tribunal : « Il s’agit là du premier axe de la politique que je veux mener dans les cinq ans à venir. Je veux recréer une véritable unité du TPI en rappelant qu’il existe trois divisions, mais un seul tribunal. Nous avons besoin de davantage de cohésion et je veux mettre en place une véritable culture d’entreprise au sein du TPI ».

Pour Gilone Tordoir, il faut parvenir à une uniformisation des pratiques et à une rationalisation des moyens et des ressources humaines, tout en tenant compte des particularités propres à chaque division. A Mons, par exemple, le service famille a été réorganisé avec la création, notamment, d’une chambre des urgences, en concertation avec le barreau. « Le système fonctionne bien et si on veut l’élargir à d’autres entités, ça nécessite de la concertation et du dialogue. Les divergences ne doivent pas empêcher le sens d’appartenance à un tribunal. En écoutant les juges de la section famille, j’ai compris qu’avec la manière dont le parquet ou le barreau de Charleroi travaillent, il ne sera pas nécessairement possible d’aboutir à la collaboration mise en place par la section famille de Mons. On n’est pas obligé de calquer les procédures, mais cela n’empêche pas les échanges de bonnes pratiques. Je veux éviter le travail en silos et tendre vers plus de transversalité ».

Une vision moderne

Le deuxième axe que la nouvelle présidente du TPI veut développer concerne la digitalisation. Des progrès ont été réalisés, mais il faut aller plus loin. Gilone Tordoir en est persuadée, quand les pratiques ont démontré leur utilité, elles finissent par s’imposer d’elles-mêmes : « Ce fut le cas avec l’utilisation des adresses électroniques ‘just.fgov.be’ ou la digitalisation des dossiers, qui ne suscitaient pas beaucoup d’enthousiasme au départ ». La présidente du TPI est favorable à la tenue d’audiences en vidéo-conférence. Elle y voit de nombreux avantages, notamment en ce qui concerne le transport des détenus. Elle soutient également l’utilisation de la signature électronique : « certains sont encore réticents, sous prétexte que ça soulève des questions de légalité. Il existe un règlement européen, qui a été transposé en droit belge, et je compte bien ouvrir la possibilité, pour tous ceux qui le veulent, de l’utiliser. Peu à peu, je pense que les professionnels de la justice vont se rendre compte de son utilité et des facilités qu’elle offre ».

La communication et le lien avec le justiciable constituent le troisième axe sur lequel Gilone Tordoir veut travailler durant son mandat. Les professionnels de la justice doivent sortir de leur tour d’ivoire et s’ouvrir davantage au monde extérieur. Il est nécessaire de toucher le justiciable là où il se trouve, sur les réseaux sociaux, par exemple. « Nous avons ouvert un compte LinkedIn, mais nous songeons à toucher une audience plus large, avec la création d’une page Facebook sur laquelle on pourra communiquer sur l’actualité du tribunal ». Sur le terrain aussi des progrès sont à réaliser, notamment en ce qui concerne l’accueil des justiciables dans les palais de justice. « On ne peut pas continuer à envoyer les gens qui veulent des informations vers les greffes, qui sont déjà surchargés de travail. Et pour le justiciable, ça donne une image désastreuse de la justice. J’ai eu l’occasion de discuter avec une personne engagée sous article 60 au palais de justice de Mons. Elle est chargée de l’accueil des justiciables et a vraiment compris le sens de sa mission : accueillir, guider et rassurer les personnes. C’est essentiel et il faut généraliser cette pratique ».

Une justice plus humaine

Gilone Tordoir se veut aussi plus attentive à l’accueil des victimes et est favorable à une concertation plus large avec les acteurs sociaux, les associations et les maisons de justice. Avoir une vue plus précise des réalités du terrain permet de mieux conscientiser : « Je me souviens avoir été en contact avec l’asbl Arpège-prélude, à Liège, qui organise des mesures judiciaires alternatives pour des auteurs de délits ayant occasionné une victime. Parfois, les auteurs ne comprennent pas le jugement et sont encore dans une attitude de déni. L’approche de l’asbl m’a aidé à revoir la manière de rédiger mes jugements en matière pénale. Il est important de conscientiser et d’aider la personne auteur de faits à comprendre qu’elle a fait une victime. La victime ne sera satisfaite que si elle est reconnue dans sa position de victime par l’auteur des faits ».

La présidente du TPI croit également beaucoup dans l’efficacité des chambres de règlement à l’amiable (CRA). Selon elle, la médiation crée les conditions d’une prise de conscience et ouvre la voie à une reconnaissance de la position de se sentir agressé. « Même dans un simple conflit de voisinage, l’une des parties se sentira toujours profondément victime. Les CRA prennent tout leur sens dans ce contexte et il est important qu’elles continuent à se développent au sein du TPI, notamment au niveau de la section famille. Je compte en mettre d’autres sur pied, pour le secteur de la construction notamment ».

Gilone Tordoir conclut en insistant sur l’importance de ces initiatives positives : « On ne communique pas suffisamment sur ce qui fonctionne bien. Nous devons arrêter de nous plaindre si nous voulons donner une image positive de la justice ».

Plus d’infos :

Christophe Blanckaert, attaché presse & communication - Ressort de la Cour d’appel de Mons christophe.blanckaert@just.fgov.be